Langue
Recherche

Abricotine (AOP), abricots du Valais

Abricotine (AOP), abricots du Valais

En bref

Les abricots et leurs produits dérivés, dont l'eau-de-vie nommée abricotine, font partie intégrante du patrimoine culinaire du Valais, au même titre que la viande séchée, le pain de seigle, le raclette ou les vins. L'essentiel de la production abricotière suisse provient de ce canton. La variété "Luizet", qui a fait la gloire de la production abricotière valaisanne, reste la plus cultivée; c’est elle, presque exclusivement, que l’on distille pour obtenir l’abricotine. Sa production a toutefois largement diminué au cours des années 1990 à 2000, au profit d'autres variétés dont les caractéristiques permettent une exploitation économique plus rationnelle.

L’abricotine est inscrite au registre fédéral des Appellations d’origine protégées (AOP) depuis 2003. Un cahier des charges déposé à l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) décrit les exigences à respecter pour bénéficier de l’appellation.

Description

Abricot Luizet: peau jaune-orange teintée de rouge du côté exposé au soleil. Saveur douce et fruitée, chair très juteuse.

Abricotine: eau-de-vie blanche élaborée à base d'abricots Luizet (90% minimum), titrant minimum 40% vol.

Ingrédients

Selon le rapport de l’Interprofession des Fruits et Légumes du Valais (IFELV) de 2004, les variétés d’abricots cultivées en Valais sont:

- Variétés précoces: Orangered (17.9%), Vick Royal (1.5%), Flame Royal (1.3%), Robada (0.9%), Pink Cot (0.7%).

- Variétés mi-précoces: Goldrich/Jumbo Cot (11.3%), Sweet Cot (0.4%), Rival (0.4%).

- Variétés mi-tardives: Bergarouge (3.8%), Kyoto (2%), Hargrand (1.7%), Pala (0.4%)

- Variétés tardives: Luizet (46.4%), Bergeron (4.4%), Tardif de Tain (3.5%), Fantasme (0.6%).

- Variétés anciennes (ne sont plus cultivées): Bourbon, Rosé, Royal, Paviot, Pallat, Montplaisir.

Abricotine du Valais: Luizet (90% minimum), acide phosphorique (facultatif), acide lactique (facultatif), levure (facultatif), sucre (facultatif).

Histoire

Venu d’Extrême-Orient, implanté par les Romains et les Grecs dans le bassin méditerranéen, l’abricot semble s’être diffusé en Europe occidentale par le biais des Arabes. Il pourrait avoir été sporadiquement présent en Suisse dès le 15ème siècle. Sa culture est diffusée en Provence dès le 16ème siècle, elle gagne assez vite la région lyonnaise. L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France, volume Rhône-Alpes (1995), signale sa présence en Savoie en 1797. La première mention connue de culture d'abricots en Valais remonte à 1812 et provient d'un ouvrage intitulé Description du département du Simplon, écrit par le Dr. Schiner. Seules deux variétés sont nommées: le Bourbon et le Blanc rosé. La variété Luizet n’existe pas encore : selon l’Inventaire du patrimoine culinaire de la France, elle est mise au point par Gabriel Luizet en 1838 dans les vergers d’Ecully, près de Lyon. C’est le même Gabriel Luizet, émigré plus tard à Saxon, qui implante sa variété en Valais. Un autre Lyonnais, Sablier, la popularise dès 1875-1880.

Les travaux d'endiguement du Rhône, entrepris en 1870, contribuent grandement au développement de la culture fruitière en Valais en mettant à disposition une terre idéale à cet effet, associée à des conditions climatiques qui le sont également. L’abricotier, planté sur le coteau sud de la vallée du Rhône, se diffuse aussi dans la plaine. En 1926, on recense 87'832 abricotiers en Valais dont le 85% sont de la variété Luizet. Louis Delaloye, dans son Saxon - vieux bourg cité nouvelle (1958), explique que le Luizet répond "mieux aux exigences du marché suisse et à la fabrication de conserves." Il est très doux, savoureux et n'exige que très peu de recours aux produits phytosanitaires. Toutefois la concurrence étrangère est déjà rude à cette époque. En 1953, suite à des manifestations violentes (cf. ci-dessous), la Suisse prend des mesures pour protéger les abricots autochtones par des restrictions d’importation qui restent en vigueur jusqu’à ce jour.

Les contraintes de la mise en marché finissent toutefois par mettre à mal l’hégémonie du Luizet. A la fin des années 1980, celui-ci représente encore le 95% du verger abricotier valaisan. Mais dès 1990, suite à des récoltes surabondantes, la Confédération et les autorités cantonales valaisannes mettent en place des programmes d’aide visant à remplacer le 50% de la surface cultivée en Luizet par d’autres variétés. Au milieu des années 2000, le Luizet représente un peu moins de la moitié de la surface d’abricotiers. Le but de cette réorientation est d’étendre la saison de récolte, avec des variétés plus précoces ou plus tardives: celle-ci s’étend désormais de fin juin à fin août alors que le Luizet se récolte de mi-juillet à mi-août. Il s’agit également de pallier la fragilité du Luizet, qui rend son transport très difficile, en implantant des variétés plus classiques dont les fruits sont adaptés à la vente en frais (principalement Orangered et Jumbo cot).

Le Luizet reste toutefois incontournable pour la distillation. On ignore à quand remonte précisément l'abricotine, et le Dictionnaire suisse romand lui-même ne donne aucune indication sur les premières occurrences du mot. Toujours est-il que la distillation est déjà répandue en Valais au 19ème siècle; il est fort probable que l’on ait rapidement songé à distiller ce fruit. La mémoire des distillateurs interrogés dans le cadre de cet inventaire permet de remonter au moins à la Seconde Guerre mondiale.

La Régie fédérale des alcools n'a recensé spécifiquement l'eau-de-vie d'abricot qu'à partir de 1976; avant cette date, elle était classée dans la rubrique "autres matières premières". Ce fait donne une bonne indication sur le statut qu’a longtemps eu l’abricotine : une eau-de-vie de moindre qualité faite à partir de rebuts. Francis Germanier, dans un article paru dans la revue Les propos de l'ordre de la channe (no. 23, nov. 1976), apporte quelques éléments qui expliquent le peu d'enthousiasme que cette eau-de-vie a pu susciter pendant longtemps: "connue depuis l'implantation de cet arbre  dans la région de Riddes-Charrat, l'eau-de-vie d'abricot a passé une enfance malheureuse. On amassait dans des récipients douteux les déchets, les fruits mal mûrs, les tares et les noyaux d'une fabrique de conserves, et tout cela fermentait au hasard. Souvent le distillateur ambulant passait l'abricot dans sa machine après une cuite de marc, et l'eau-de-vie en sortait bâtarde, saturée de faux-goûts. Ainsi pénalisée, elle ne franchissait que rarement le cap de son commettant-bouilleur." Cette mauvaise réputation s’est estompée au fur et à mesure que des distillateurs – et notamment les professionnels - s’attachaient à travailler à partir de bons fruits. Dès les années 1970, l’abricotine devient une eau-de-vie de haute qualité, reconnue aujourd’hui comme telle.

Production

La culture de l’abricot Luizet est peu répandue en Europe, car cette variété très délicate n’est adaptée qu’au climat de rares régions. Le climat chaud, sec et venteux du Valais associé à une terre riche en limons, se drainant facilement, en fait une terre de prédilection. Alors que la vigne remonte les pentes de la rive droite du Rhône, l’abricot Luizet était et reste planté de manière privilégiée sur les coteaux de la rive gauche, plus ombragés. Il est aussi cultivé dans la plaine.  

L'Abricotine AOP est élaborée à partir d'abricots de la variété Luizet; d'autres variétés sont tolérées à hauteur de 10% par lot. Pour l’AOP, les fruits sont récoltés à pleine maturité et doivent être propres et sains. Ils sont ensuite directement mis en fûts ou en cuve pour être foulés. Le foulage permet de faire sortir le jus des fruits, ce qui permet une fermentation complète des sucres. Attention toutefois à ne pas briser les noyaux. En effet, le contact entre l’amande qu’ils contiennent et la masse de fruits provoque la formation d’uréthane (carbamate d’éthyle), une substance cancérigène, par le mélange de l’alcool et de l’acide prussique (ou acide cyanhydrique) contenu dans les amandes. Le dénoyautage est obligatoire avant distillation. Il peut s'effectuer à deux moments: avant ou après la fermentation. Cette dernière solution est toutefois généralement privilégiée, les noyaux apportant à l'eau-de-vie un goût recherché par les amateurs. L'ajout de levure est autorisé par le cahier des charges AOP afin de favoriser la fermentation. Cette dernière s'effectue, dans l'idéal, à une température de 20°C. Lorsque la fermentation est terminée, les cuves ou les fûts sont remplis complètement avant d'être fermés hermétiquement en attendant la distillation. Cette dernière est effectuée le plus rapidement possible. La limite est fixée au 28 février de l'année suivant la récolte des fruits par le cahier des charges AOP. Il est conseillé de stocker les fûts ou les cuves au frais (moins de 18°C), afin de garantir l'inertie des fruits fermentés.

Lors de la distillation, la tête est récoltée séparément puis redistillée. La tête de tête (5% à 15% des têtes) est écartée et détruite, du fait de son mauvais goût.  Les alcools de queue sont également récoltés séparément et redistillés.

Une fois la distillation effectuée, le distillat est réduit jusqu'au taux désiré (minimum 40% vol.) à l'aide d'eau déminéralisée ou d'eau de source à faible teneur en sels minéraux. Le sucrage est autorisé par le cahier des charges AOP à hauteur de 5 g/litre. L'usage de bonificateurs est en revanche interdit.

Consommation

Les abricots peuvent soit être mangés frais, tels quels, ou transformés. On peut par exemple en faire de la confiture, des conserves, des gâteaux (tartes), du jus, des glaces ou sorbets ainsi qu’un nombre incalculable de pâtisseries et autres desserts. Les abricots suisses sont consommés ou transformés durant leur période de récolte, c’est-à-dire de fin juin à fin août. On peut toutefois les congeler pour les consommer plus tard dans l’année. Le reste de l’année, les abricots proviennent d’autres pays. Comme toutes les eaux-de-vie, l’Abricotine se consomme généralement comme digestif, dans des verres d’un ou deux centilitres. La consommation d’abricotine est en déclin quantitatif: elle suit une tendance générale à la désaffection des eaux-de-vie blanches, à laquelle la baisse du taux d’alcool admis pour la circulation routière n’est pas étrangère. Bien que consommée en quantités plus réduites, elle reste toutefois très appréciée et réputée.

Importance économique

La production valaisanne d'abricots représente le 98.5% de la production suisse d'abricots. Et comme nous l'avons dit plus haut, le Luizet représente à l’heure actuelle le 46.4% de la production totale d'abricots en Valais. En 2004, on comptait 176 producteurs d’abricots en Valais.

La culture de l’abricot revêtait une telle importance que jusque dans les années 1980, le gel, au printemps, était signalé par une sirène d’alarme. Elle a depuis été remplacée par un système de "biper" personnalisé permettant de ne pas réveiller toute la population, de moins en moins agricole au demeurant.

Concernant l'abricotine, 64% de la production totale d'eau-de-vie d'abricots en Suisse provient du Valais. A noter que bon nombre d’eaux-de-vie d’abricots produites en dehors du canton sont élaborées à base d’abricots valaisans. Environ 117'000 bouteilles de 70 cl d’Abricotine AOP sont produites chaque année, ce qui nécessite un million de kilos d’abricots dont un minimum de 90% de Luizet.

... et enfin

Le 7 août 1953, Saxon est le théâtre d’une violente manifestation menée par les producteurs d’abricots valaisans. Ceux-ci entendent ainsi faire part de leur mécontentement suite aux importations massives d’abricots provenant d’Italie, qui empêchent l’écoulement de la production vernaculaire.

Cette manifestation réunit quelques 4000 personnes. Après les discours officiels, la manifestation dégénère et la foule envahit la gare toute proche. Les cageots d’abricots italiens ainsi que les wagons qui les transportaient sont saccagés et parfois même brûlés. La ligne du Simplon est ainsi coupée, de même que les accès routiers. La tension s’apaise dans les jours qui suivent. Depuis lors, les importations d’abricots sont ralenties en début de saison de cueillette et stoppées dès que la production indigène suffit à remplir la demande. Lorsque l’offre ne suffit à nouveau plus, les importations recommencent progressivement.

En 1961 et 1978, des émanations nocives provenant de diverses usines des environs de Saxon causèrent des dommages aux cultures. Des pépiniéristes lassés par l’inertie des autorités fondèrent une association de défense contre lesdites émanations. Cette dernière mandata un des experts et fournit le "Dossier Fluor" deux ans plus tard. En 1978, le Conseil d’Etat prit des mesures contraignant les usines incriminées à diminuer leurs émissions nocives. En 1982 enfin, le Tribunal Fédéral condamna l’usine de Martigny à indemniser les producteurs d’abricots valaisans, ce qui mit fin aux querelles.

Sources

  • Raboud Schüle, Isabelle, Rose-Claire Schüle et Pierre Dubuis,   Assiettes valaisannes, nourritures d’hier et d’avant-hier,   Sierre,   1993.  
  • Delaloye, Louis,   Saxon : vieux bourg, cité nouvelle,   Impr. Jonneret,   Martigny,   1958.  
  • Germanier, Francis,   Les propos de l'ordre de la channe,   1976.  
  • Interprofession de l'Abricotine + OIC,   Cahier des charges AOC: Abricotine,   2002.  
  • Interprofession de l'abricotine,   Demande d'enregistrement AOC: Abricotine,   1997.  
  • http://www.aoc-igp.ch/produits.php?prod=8&l=fr,   2018.  
  • Glassey, Frédéric,   Agrométéorologie de la framboise et de l'abricot dans la commune de Nendaz en Valais,   Université de Lausanne Institut de géographie,   Lausanne,   1997.  
  • Simpson, Gillian,   Petite histoire de l'abricot,   Monographic, cop.,   Sierre,   1998.  
  • Schiner, Hildebrand,   Description du Département du Simplon ou de la ci-devant République du Valais,   Antoine Advocat,   Sion,   1812.  
  • Le courrier,   2003.  
  • © Association Suisse des AOP-IGP,   Photo Abricotine AOP.  
Boissons Imprimer

Epicentre de production

Canton du Valais.

Map