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Lammlidji

Getrockneter Schafgigot/Lammgigot, Schaflidji. (Geisslidji)

En bref

Le Lammlidji est un gigot d'agneau séché. Si la fabrication et la consommation de viande bovine séchée est une vieille tradition dans tout le canton du Valais, la viande de mouton séchée est désormais une spécialité presque exclusivement haut-valaisanne. A l’ouest de la Raspille, ruisseau qui marque symboliquement la frontière linguistique en Valais, les viandes séchées de mouton, agneau ou chèvre ne sont tout simplement pas ou plus appréciées. Comme le rapporte un boucher du Valais central qui a fait son apprentissage à Viège: "Si on le proposait ici, les clients n’en voudraient pas." Même dans le Haut-Valais, cette spécialité aux saveurs ovines fortes et typées est davantage appréciée des personnes d’un certain âge, qui y sont accoutumées depuis leur jeunesse.

Description

Pièce de viande ovine recouverte d’une "fleur" blanche (moisissure noble). Couleur rouge pourpre à la découpe.

Variantes

Viande séchée de chèvre (Geisslidji).

Ingrédients

Viande.

Gigot d’agneau, gigot ou épaule de mouton (la viande des mâles non castrés a un goût trop prononcé qui la rend impropre à la consommation).

Salage/saumurage.

Mélange de sel, agents rubéfiants, épices et herbes (poivre, thym, serpolet, basilic, marjolaine, sauge, romarin, etc.), ail, oignon, poireaux. La composition exacte du mélange est un secret de fabrication.

Histoire

En Valais, la première attestation détaillée concernant le séchage de la viande remonte à la Cosmographie de Sebastian Münster, dont la première édition est publiée en 1544 à Bâle. Et il s’agit bel et bien de viande de mouton ou d’agneau: "Sie machen vil dörr fleisch/das sie gedigen fleisch nennen/und besunder von den feissten schaffen oder hämlen/reüchen es nit/sunder nach dem saltz dörren si es im lufft/und legen es darnach in stro." Il est fort probable que les viandes séchées ovine et caprine ont été répandues en de nombreux endroits du canton jusqu’au début du 20ème siècle. Toutefois, déjà à cette époque, le Haut-Valais (et en particulier la vallée de Saas) se distingue comme un haut lieu de l’élevage et du commerce de moutons, alors qu’en d’autres lieux le déclin spectaculaire de l’élevage ovin a déjà commencé. 

Le journal Le villageois, dans ses livraisons du printemps 1881, présente le séchage de toutes les viandes, y compris les gigots d’agneau ou de mouton, comme une tradition domestique pratiquée par de très nombreuses familles, à une époque où il y a peu de boucheries professionnelles dans le Valais rural. Jusqu’au début du 20ème siècle, le mouton était indispensable à une économie de subsistance, et chaque famille paysanne en possédait quelques têtes. Moins exigeant que celui des bovins, l’élevage des moutons procurait à la fois de la laine pour la confection de vêtements, et de la viande pour la vente ou la consommation familiale (Gyr, p.517). La viande de mouton devait aussi être plus abordable pour les familles les plus pauvres, qui ne pouvaient abattre une vache que rarement.  

Avant la fin du 19ème siècle, il est difficile de connaître précisément les pratiques et savoir-faire liés au séchage de la viande. A voir son importance telle qu’elle ressort des premières sources détaillées, on devine pourtant une tradition ancienne, continue et vigoureuse, dans le Haut-Valais et le Valais central tout au moins. Pour la préparation et le séchage de la viande, selon Le Villageois, chaque "vaillante ménagère" (sic) a ses secrets, notamment quant au choix des épices et des herbes dont le mélange est jugé essentiel pour le goût du produit fini. Ce mélange constitue une recette précieusement transmise d’une génération à la suivante. L’importance du secret, soulignée de manière continue par de nombreux commentateurs au cours du 20ème siècle, reste d’ailleurs vivace, même dans le contexte des boucheries professionnelles qui ont pris le relais de la fabrication domestique.  

Jusque dans les années 1960, le séchage de la viande est une activité encore largement pratiquée dans le cadre domestique. Mais avec la maîtrise du froid, la consommation de viande fraîche augmente et la viande séchée devient progressivement un produit d’agrément plus que de nécessité quotidienne. Cette tendance, déjà dénoncée par Le villageois en 1881 mais encore très marginale, s’amplifie brusquement au cours des années 1950-60, avec le développement des congélateurs communaux puis des réfrigérateurs dans chaque foyer. Elle est encore renforcée par la spécialisation professionnelle des 40 dernières années: les boucheries villageoises puis industrielles se développent, alors que la "boucherie de campagne" domestique décline graduellement. Au début des années 2000, il y a encore des particuliers qui font de la viande séchée à la maison, utilisant les services d’un boucher pour l’abattage et la découpe de leurs propres bêtes, ou qui lui achètent des gigots. Il s’agit le plus souvent de personnes âgées de plus de cinquante ans qui ont encore connu l’époque où la boucherie de campagne était vivace; cette pratique pourrait donc s’éteindre à moyen terme.

Production

Le processus d’élaboration des viandes séchées d’agneau et de mouton est identique à celui de la viande bovine, même si certaines personnes pratiquent un séchage moins poussé. Dans le mouton, c’est habituellement le gigot et l’épaule qui sont utilisés pour la confection des viandes séchées. Le gigot peut se préparer avec son os, mais dans 90% des cas, c’est uniquement le muscle qui est séché, après avoir été nettoyé de la graisse et des nerfs. Lorsque l’on sèche la viande d’agneau, seul le gigot est utilisé, avec ou sans son os. 

La première étape de la fabrication est le salage et l’aromatisation de la viande: les quartiers sélectionnés sont frottés avec le sel et les épices puis placés au frais (moins de 10°C, en général 7-8°C) dans des cuves ou tonneaux de plastique, parfois en inox; ceux-ci ont remplacé les cuves de bois utilisées jusqu’aux années 1960-70. La viande suinte au contact du sel: celui-ci se dissout dans le jus qui forme ainsi une saumure. On place les plus grosses pièces en bas, afin qu’elles s’imprègnent au mieux du sel; on peut aussi retourner une fois les morceaux au cours du saumurage, ou placer un poids pour obliger la saumure à remonter, ou encore arroser la viande à l’aide de la saumure prélevée, éventuellement additionnée de vin rouge.  

Aujourd’hui, en fabrication professionnelle, les quartiers sont en général embossés dans un bas et/ou un filet au sortir du saumurage puis étuvés quelques jours (jusqu’à une semaine) à des températures et hygrométries décroissantes, d’abord à plus de 20°C et 95% d’humidité pour terminer à moins de 15°C avec 80% d’humidité. Cette phase permet d’accélérer le séchage tout en évitant le "croûtage" en surface qui empêcherait ensuite le séchage du cœur de la pièce. Cette phase permet aussi d’assurer le développement d’une moisissure noble qui se répand sur la surface extérieure de la pièce. Sa présence permet en particulier de maintenir une certaine humidité en surface au début du processus de séchage. Il n’est pas nécessaire d’ensemencer: une fois la moisissure présente dans les locaux d’étuvage et de séchage, elle colonise spontanément les pièces de viande. Notons qu’il n’y a pas d’étuvage en fabrication domestique, et que tous les bouchers ne le pratiquent pas.  

Le séchage intervient ensuite. En fabrication domestique, celui-ci se déroule à l’air libre; ceux qui possèdent encore un "raccard", chalet servant de garde-manger dans les alpages valaisans, soumettent la viande à l’air frais et sec des sommets. En fabrication professionnelle, le séchage s’effectue la plupart du temps dans des locaux à température et hygrométrie contrôlées (moins de 15°C, souvent même moins de 10°C, autour de 80% d’humidité relative). La perte de poids lors de ce processus atteint 50% par rapport au poids initial de la pièce.

Consommation

Disponible dans de nombreuses boucheries pendant la quasi totalité de l’année, la viande séchée de mouton s’achète habituellement désossée et conditionnée en petits morceaux. Quelques clients plus âgés achètent toutefois encore le gigot entier, qu’ils suspendent dans leur carnotzet et qu’ils débitent au fur et à mesure des visites qu’ils y reçoivent. On peut conserver la viande sans problème pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, auquel cas elle deviendra très dure.

Comme la viande séchée de bœuf, celle de mouton ou d’agneau se déguste habituellement crue, débitée en fines tranches, en apéritif ou comme plat principal. Elle peut être accompagnée d’une tranche de pain de seigle et d’un morceau de fromage, mais aussi d’un verre de vin.

On peut aussi la consommer cuite dans le Gsottus ou Gsottäs, potée à base de viandes fraîches, salées et fumées, et de pommes de terre, riz, choux et autres légumes, qui reste encore vivace dans le Haut-Valais. On peut la déguster dans certains restaurants et elle se fait encore en famille, plutôt en automne. Si plusieurs recettes de Gsottus mentionnent la viande séchée de mouton, c’est généralement le bouilli qui est utilisé.  

Importance économique

Bien que produite en quantités nettement inférieures par comparaison avec la viande séchée de bœuf, on trouve régulièrement de la viande séchée de mouton dans les boucheries du Haut-Valais. De nombreux particuliers en fabriquent également chez eux, pour leur propre consommation. Du fait de son goût assez prononcé auquel tous les palais ne sont plus habitués, la clientèle de la viande séchée de mouton reste toutefois assez restreinte et relativement âgée. Des touristes l’achètent aussi comme cadeau-souvenir, mais en petites quantités.

... et enfin

Le Haut-Valais est l’un des très rares lieux de Suisse où l’on apprécie encore la viande de chèvre; on y trouve d’ailleurs une vieille race autochtone, la Col-Noir (Schwarzhalsziege ou Ghalsochtu). Le gigot séché de chèvre, en raison de son goût encore plus prononcé que le gigot séché de mouton, est un produit de niche désormais presque introuvable. Cette spécialité est disponible principalement en automne, après la descente des alpages des troupeaux de chèvres. Le processus de fabrication est quant à lui identique à celui de la viande séchée de mouton. On prépare toutefois le gigot entier, avec son os.

Notons que la tradition de la chèvre séchée et salée est encore vivace dans les vallées de Maurienne et en Tarentaise (Alpes de Savoie). Le gigot séché de chèvre présenté avec son os a également une similarité étonnante avec le Violino di capra, produit dans une aire alpine italophone très voisine du Haut-Valais, à cheval entre la Suisse (Tessin, Poschiavo GR) et l’Italie (Valchiavenna). Dans la partie est du col de la Furka, dans la vallée d'Ursern, les lidji de chèvre et de mouton sont des produits traditionnels, désormais recherchés – ils ressemblent aux lidjis dans la vallée de Conches ainsi qu’aux Violini au sud du Gothard.

Sources

  • Gyr, Willy<BR />,   Le Val d’Anniviers. Vie traditionnelle et culture matérielle basées sur le patois de Saint-Luc,   Basel und Tübingen,   1994.  
  • Münster, Sebastian <BR /><BR />,   De la Cosmographie Universelle,   H. Petri,   Bâle,   1544.  
  • -- <BR />,   Le Villageois : journal agricole des Alpes et de la plaine du Rhône,   Sion,   1881.  
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Epicentre de production

Haut-Valais.

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