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Boutefas (AOP), Saucisson vaudois (IGP)

Pour le boutefas : casa, botato.

Boutefas (AOP), Saucisson vaudois (IGP)

En bref

Boutefas et saucisson vaudois appartiennent à l’illustre famille des saucisses crues à maturation interrompue, aux côtés de la longeole, de la saucisse d’Ajoie, des saucisses aux choux et au foie. Les Romands, Valais mis à part, sont particulièrement attachés à ce type de saucisses que l’on consomme cuites et chaudes. En Suisse alémanique on préfère en général les saucisses dites « échaudées » comme les saucisses de veau ou le cervelas ; et dans les régions alpines les saucisses sèches à manger crues. 

La charcuterie du plateau romand est réputée depuis des décennies pour la qualité de ses saucisses et saucissons. Le Boutefas, patrimoine commun des cantons de Vaud et Fribourg, est inscrit au registre fédéral des appellations d'origine et des indications géographiques comme appellation d’origine protégée (AOP) depuis 2021. L’Indication géographique protégée (IGP), obtenue en 2004 pour le saucisson vaudois et la saucisse aux choux vaudoise, a permis de définir rigoureusement ces produits et protéger les dénominations qui les désignent. Mais il n’y a pas que le « saucisson vaudois IGP » ! Le saucisson de Payerne (dénomination interdite depuis décembre 2016) reste très renommé dans la région de la Broye d’où elle est originaire. Il se fabrique aussi depuis très longtemps des saucissons dans les campagnes genevoise et fribourgeoise. Enfin, il existe un saucisson neuchâtelois, également IGP (voir la fiche qui lui est consacrée).

Description

Produits de charcuterie crus fumés, à maturation interrompue, conditionnés exclusivement dans un boyau naturel de porc. Les extrémités sont fermées par de la ficelle ou des clips. La forme du boutefas est particulière: les bourrelets du caecum de porc le caractérisent et une seule ficelle en ferme l’extrémité. Couleurs des deux produits : brun doré à l’extérieur, rose rouge à l’intérieur.

Un saucisson pèse environ 400 g et un boutefas entre 600 g et 3 kg.

Ingrédients

Saucisson vaudois IGP et boutefas: viande de porc (60%), lard, sel, sucres, épices de base (sel, poivre), épices admises (ail, coriandre, lie de vin, vin blanc) boyau naturel de porc (frisé, dit aussi chaudin, pour le saucisson ; caecum pour le Boutefas).

Histoire

L’historien Samuel Jordan a relevé plusieurs occurrences du terme boutefas, ou d’une de ses variantes, dans différentes sources historiques. La plus ancienne est le Thurnrodel ou Livre Noir conservé aux archives de l’Etat de Fribourg, elle date de 1634. On ne sait pas à quoi ressemblait ce boutefas du 17e siècle, et l’étymologie obscure du terme (selon le Dictionnaire suisse romand, il viendrait du bas latin buttis : tonneau, outre ; et de fars, radical de farcir) n’aide pas à se faire une idée précise. Un siècle plus tard, pourtant, on sait déjà faire en Suisse des saucisses et saucissons de garde. Le Bernerisches Koch-Büchlein de 1749 donne une recette pour des saucisses à manger crues ou cuites, qui peuvent se conserver jusqu’à un an. Une recette postérieure d’une cinquantaine d’années, issue des archives de la famille Charrière de Sévery, précise que le saucisson doit être légèrement fumé puis séché une quinzaine de jours, et qu’il peut se manger cuit. Notons aussi que l’emploi du salpêtre (agent rubéfiant) est déjà attesté dans les recettes de La cuisinière genevoise de 1798.

Malgré ces attestations anciennes, il n’est pas sûr que le boutefas et les saucissons aient été très répandus jusqu’au 19è siècle. Si l’on en croit le Soupes et citrons de François de Capitani, la viande de porc est alors une denrée rare et chère. Il faut y voir une conséquence de la concurrence alimentaire entre l’homme et le cochon : les deux sont omnivores ; à l’inverse, la viande des ruminants (le veau en particulier) est alors plus abordable. Certes les déchets de cuisine peuvent nourrir un « cochon familial » dans les familles aisées ; mais pour un élevage à grande échelle il faudra attendre la seconde partie du 19è siècle, avec la généralisation de la culture de la pomme de terre, mais aussi l’essor sur le Plateau suisse de l’élevage laitier au détriment de la culture des céréales (les cochons se nourrissent du petit lait, résidu de fabrication des fromages tels que le Gruyère). Le Cours d’économie domestique à l’usage des jeunes filles de la campagne, édité à Lausanne en 1840, présente bien les saucisses à griller, atriaux et boudins, mais pas de saucisson ni de boutefas.  

Il n’empêche : dès le milieu du 19ème siècle, le pays de Vaud et ses environs deviennent un haut lieu de la charcuterie, comme en attestent plusieurs sources écrites ; cette transition n’a pas échappé l’écrivain vaudois Juste Olivier (1807-1876), qui écrit en 1837 déjà : « Autrefois, le lait, les lentilles faisaient tout le fond des aliments des campagnards. Aujourd’hui, le porc et les autres viandes salées sont peut-être plus communnes ». En 1894, le Valaisan Joseph Favre, dans son Dictionnaire universel de cuisine pratique, donne la recette d’un saucisson suisse qui « se fabrique surtout dans le canton de Vaud ». Celle-ci correspond dans les grandes lignes à ce que l’on connaît aujourd’hui sous les vocables de Saucisson vaudois, fribourgeois ou neuchâtelois – mis à part l’adjonction d’une quantité de sel particulièrement élevée de 40g pour 1 kg de viande, soit deux fois plus qu’aujourd’hui.

Les 19ème et 20ème siècles marquent le développement d’une tradition très vigoureuse jusque dans les années 1970, et qui s’est presque éteinte aujourd’hui : la boucherie de campagne. Elevé à la ferme, l’animal y est aussi abattu par un « boucher de campagne » itinérant. Hélène Brodard, dans son article „Comment on tue un porc à Botterens“, paru dans la revue Folklore suisse en 1960, décrit avec force détails les étapes de la boucherie de campagne et mentionne aussi le boutefas: „L’extrémité du gros intestin est remplie aussi de viande à saucisson; on appelle ce petit saucisson dodu le boutefas que l’on réserve pour une fête: Pâques ou la Pentecôte“ ; précisons que ce « petit » saucisson est en réalité le plus gros des saucissons connus en Suisse romande (jusqu’à 1.8 voire 2 kg) ! Parmi les archives conservées au bureau du Glossaire des patois de la Suisse romande, des fiches issues d’une enquête sérieuse - menée par correspondance vers 1910 - renferment des informations précieuses et confortent les témoignages cités plus haut. On apprend que le boutefas était „gardé pour de grandes occasions: visites, noces, baptêmes“ (Moudon) ou alors, „on le mangeait quand on semait le chanvre“ (Etagnières).  

Plus petit, le saucisson n’était pas uniquement dégusté les jours de fête. L’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud rappelle pourtant un moment particulier lors duquel il jouait un rôle important: la chette. Le matin de la St-Sylvestre de Vaulion, les jeunes se déplaçaient effectivement de ferme en ferme et recevaient du pain maison ou des saucissons. Des coutumes similaires sont encore vivaces dans plusieurs villages de la campagne vaudoise. A la place du saucisson, les jeunes collectent parfois des saucisses aux choux.

Saucisson de Payerne: la région de Payerne est considérée dans la mémoire populaire comme le berceau de la charcuterie vaudoise. L’élevage porcin se serait développé dès le 15ème siècle dans la région de Payerne, le Duc de Savoie Amédée VIII ayant concédé aux habitants le droit de faire paître leurs cochons dans les bois des environnants (où ils se nourrissent de glands). On sait grâce à d’interminables conflits locaux que cette pratique se serait perpétuée au cours des siècles suivants. De fait, au tournant du 20ème siècle, la réputation de la cochonaille payernoise s’étend bien au-delà de cette localité. Concernant le saucisson dit « de Payerne » proprement dit, on ne le voit pas apparaître dans des documents avant la fin du 19ème siècle : il figure en bonne place sur un bulletin de commande datant de cette époque, conservé aux Archives cantonales vaudoises.

Selon Jacques Chapuis, expert en charcuteries, la réputation payernoise « date peut-être de l’époque où l’on élevait à Payerne une race particulière de cochons rouges. Ces bêtes bien en chair étaient nourries de glands et de cette eau de Payerne aux vertus spéciales qui donne encore de nos jours son fumet à la charcuterie payernoise. » Raison pour laquelle les Payernois sont parfois surnommés „Lè caïon-rodzé“!

Production

Saucisson vaudois IGP : comme son nom l’indique, le saucisson vaudois IGP est exclusivement fabriqué dans le canton de Vaud. En revanche, les porcs peuvent provenir de toute la Suisse. Pour fabriquer le saucisson, ils doivent avoir l’âge minimum de 140 jours à l’abattage et leur poids atteindre au moins 75 kg (poids mort). Plusieurs étapes de fabrication suivent ensuite: le tri de la viande (sans tendons), la préparation des épices et des additifs, le hachage (grains d’une grosseur de 5 à 8 mm), le pétrissage, le poussage ou la mise en boyaux, la rubéfaction, le fumage à froid (fumée provenant de la combustion de sciure ou de bois) et finalement le stockage. La rubéfaction et le fumage doivent au minimum durer 24 h. De plus, la coloration chimique par bain ou teinture est interdite. 

Boutefas: en chemin pour l’obtention d’une AOP, le boutefas devrait être fabriqué exclusivement à partir de porcs nés et engraissés dans une zone géographique valdo-fribourgeoise en cours de définition. Le procédé de confection de ce produit est le même que celui du saucisson. Le hachage varie légèrement -grains de 6 à 8 mm- et le type de boyau à remplir de chair est un caecum de porc. 

Saucisson de Payerne : le procédé de fabrication est semblable à celui du saucisson vaudois IGP. Cette ressemblance dans le procédé de fabrication et l’apparence avec le «saucisson vaudois», a donné lieu à une plainte déposée par l'Association charcuterie vaudoise IGP, car

«Si la recette d’un produit est similaire à celle décrite par le cahier des charges de l’IGP, le produit ne peut comporter une désignation géographique évoquant le canton de Vaud. C’est tout le problème du saucisson de Payerne, dont la recette séculaire n’est pas très éloignée de celle du saucisson vaudois protégé» (24 heures, 18.12.2016). Depuis décembre 2016, l’utilisation de la dénomination « saucisson de Payerne » ou « saucisson payernois » n’est plus autorisée dans le commerce ».La décision juridique a concerné deux sur quatre bouchers à Payerne. « La loi laisse aux deux bouchers la possibilité de donner des noms fantaisistes à leur produit », tels que «saucisson maison», «saucisson de la reine Berthe» ou «saucisson de l’abbatiale», a expliqué l’un des deux au quotidien 24 heures.

Il existe toutefois la possibilité d’utiliser «la dénomination saucisson vaudois IGP, de Payerne », pourvu que les bouchers respectent le cahier des charges du saucisson vaudois IGP et utilisent les pastilles vertes (marque de conformité).

Saucisson fribourgeois : les saucissons produits artisanalement dans le canton de Fribourg, très similaires au saucisson vaudois dans leur mode de fabrication, sont souvent fumés « à la borne » (cf. la fiche consacrée au Jambon de la borne).

Consommation

Traditionnellement, les spécialités de charcuterie romandes sont davantage fabriquées et consommées de la mi-septembre à avril ; cette période varie légèrement en fonction de la température. Le développement des techniques d’hygiène et de conservation, depuis la Seconde guerre mondiale, permet une fabrication toute l’année ; auparavant on bouchoyait l’automne et l’hiver, pour permettre une meilleure conservation de la viande. Mais les consommateurs restent encore sensiblement attachés à la saisonnalité de ces saucisses et saucissons. Ce constat est d’ailleurs plus marqué pour la saucisse aux choux que pour le saucisson et le boutefas. 

Cuits en entier, on les mange chauds ; on peut aussi les laisser refroidir et les débiter en tranches pas trop fines. Eléments incontournables du papet vaudois, la saucisse aux choux est parfois remplacée par le saucisson ou alors ces deux spécialités accompagnent poireaux et pommes de terre. On les mange aussi avec de la choucroute ou du gratin dauphinois et d’autres viandes salées. Actuellement, de nombreuses recettes, comme le saucisson en croûte, permettent de mettre en valeur ces saveurs du terroir.  Clients fidèles, les Vaudois ne sont pas les seuls à apprécier ces produits de charcuterie vendus partout en Suisse. Dans le canton de Fribourg, en période de Bénichon, nombre de consommateurs achètent un saucisson qui accompagnera parfaitement le jambon de la borne.  

De la boucherie à la casserole : On cuit le saucisson environ 45 min. dans de l’eau ou sur des légumes pendant une heure à une température de 75° au maximum. Même mode de cuisson pour le boutefas qu’il faudra tout de même laisser sur le feu plus longtemps; le temps de cuisson dépend évidemment de son épaisseur. Un autre mode de préparation, plus rare mais très convivial, consiste à emballer le saucisson dans du papier d’aluminium et à le recouvrir de braises; les anciens appelaient cette façon de faire la torée. Cette tradition est encore vivace dans le canton de Neuchâtel ; on y utilise, bien-entendu, un saucisson neuchâtelois. Le saucisson et le boutefas ne devraient pas être congelés.

Importance économique

Les fabricants de charcuterie vaudoise sont pour la plupart des artisans bouchers qui s’approvisionnent essentiellement dans leur région et vendent leur marchandise dans leur propre commerce. Quelques gros fabricants produisent des quantités plus substantielles (80% du total) et fournissent essentiellement la grande distribution. La production totale de saucisson vaudois IGP est supérieure à 1'000 tonnes par année. Les données pour le boutefas et les saucissons autres que le saucisson vaudois IGP ne sont pas connues, mais la production totale est très inférieure à celle du saucisson vaudois.

Sources

  • © Association Suisse des AOP-IGP,   Photo Charcuterie vaudoise.  
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Epicentre de production

Boutefas: essentiellement dans le canton de Vaud et les régions limitrophes du canton de Fribourg. 

Saucisson vaudois IGP: exclusivement le canton de Vaud. 

"Saucisson de Payerne": Payerne VD et environs. 

Autres saucissons :Genève, Fribourg

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