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ImprimerCardon de Genève / Cardon épineux genevois (AOP)
En bref
Le cardon est un légume très peu connu en Suisse en dehors de son aire de culture actuelle: la campagne genevoise et dans une moindre mesure la Côte vaudoise. Il a pourtant à Genève et dans les environs l’aura d’un légume de fête, aux saveurs subtiles, surtout consommé à Noël. On le trouve frais en décembre sur les marchés genevois et vaudois, mais il est aussi disponible en conserve toute l’année.
Le Cardon épineux genevois est inscrit au registre fédéral des Appellations d’origine (AOP) et des indications géographiques (IGP) depuis 2003. Un cahier des charges déposé à l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) décrit les exigences à respecter pour bénéficier de l’AOP.
Description
Légume pouvant atteindre 2 m de haut, de la même famille que l’artichaut, dont on consomme les côtes.
Variantes
Les éventuelles variantes sont liées à des accidents de sélection, en particulier l’absence complète d’épines.
Ingrédients
La manière traditionnelle de consommer le cardon est en gratin, avec une sauce béchamel.
Histoire
L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France évoque la longue histoire de ce légume méditerranéen déjà considéré comme un luxe par les Romains, et signale que des traces en ont été découvertes dans les palafittes suisses. Toutefois l’histoire du cardon tel qu’on le connaît aujourd’hui en Suisse n’est pas aussi ancienne. Tout comme l’artichaut, le cardon arrive à Genève à la fin du 17ème siècle, dans les bagages des huguenots de Touraine. La variété "Cardon de Tours", très épineuse, serait en effet l’ancêtre de la variété genevoise "Épineux argenté de Plainpalais", attestée depuis deux siècles. Cette production est donc étroitement liée au développement du maraîchage genevois par les réfugiés protestants venus de France.
Le cardon apparaît dans les livres de cuisine suisses dès le 18ème siècle, toutefois les mentions relevées ne renvoient pas explicitement à la région genevoise. Il y a dans le Bernerisches Koch-Büchlein de 1749 une recette "Cardon zu machen"; notons que c’est le terme français qui est employé, et non les termes allemands actuels Kardonen ou Kardi. La manière de le cuire est clairement expliquée: comme aujourd’hui, les tronçons de cardon étaient plongés dans un mélange d’eau et de lait, afin d’éviter le noircissement du légume. Cette pratique n’est pas mentionnée dans la Cuisinière genevoise de 1798, qui donne deux recettes pour préparer les "cardes" et "cardons d’Espagne". D’autres recettes peuvent être relevées dans les livres de cuisine du 19ème siècle, et l’on voit apparaître la fameuse recette genevoise du cardon à la moelle dans la Cuisinière romande de Louis Maillard en 1906.
Les pratiques culturales du cardon semblent avoir peu évolué au cours des deux derniers siècles, et sur ce point les témoignages oraux autant que les sources écrites concordent. L’opération centrale est le blanchissement à l’abri de la lumière, sans lequel le cardon resterait un légume de peu d’intérêt gustatif. Deux longs articles de l’Encyclopédie d’Yverdon (années 1770) et du Foyer neuchâtelois (1894) permettent de constater que les pratiques culturales actuelles étaient déjà pour l’essentiel en vigueur aux 18ème et 19ème siècles. Et connues en Suisse, bien que ces articles ne s’y rapportent pas explicitement.
Un cardon amélioré inerme (sans épines) a également été cultivé à Genève; cette culture a aujourd’hui quasiment disparu, et la spécificité genevoise réside assurément dans la préférence pour les cardons épineux.
Production
Plante vivace, le cardon est cultivé de manière annuelle: il s’agit d’éviter la vernalisation pour que la plante ne fleurisse pas. Le semis est donc effectué tardivement, en mai; les plantes en mottes sont ensuite rapidement installées en plein champ, où elles poursuivent une croissance rapide jusqu’à atteindre 1.5 à 2 mètres de hauteur et couvrir 1 m2 de terrain.
En octobre, les plantes sont liées individuellement à l’aide de la pince à cardon, outil qui permet de relever les feuilles sans se blesser avec les épines.
Les cardons vont ensuite être blanchis, c’est-à-dire forcés à l’abri de la lumière. Cette opération peut s’effectuer de différentes manières:
- en champ, chaque plante étant recouverte d’un manchon en papier ou en plastique noir;
- en cave, chaque plante étant rentrée avec sa motte de terre;
- en fosse ou sous tunnel plastique, les plantes en motte étant protégées de la lumière par des bottes de paille, des bâches de plastique noir, etc.
Le blanchiment en plein champ produit des cardons pour le début de saison; en effet, la plante ne supporte pas des gels descendant au-dessous de 5°C. Les cardons pour le mois de décembre, autrefois blanchis en cave, sont aujourd’hui blanchis par les professionnels sous tunnel; ceux-ci sont chauffés quand cela est nécessaire pour échapper au gel.
Le savoir-faire local réside surtout dans les opérations de blanchiment, qui prennent entre deux et quatre semaines. Lorsque le blanchiment est terminé, les parties de la plante qui sont encore vertes, flétries ou abîmées sont éliminées avant la commercialisation. Chez les maraîchers, les plantes une fois blanchies peuvent être conservées entre 0 et 2°C, à l’abri de la lumière et du dessèchement.
Consommation
Le cardon genevois est, par excellence, épineux. Les variétés épineuses de cardon sont généralement considérées comme plus savoureuses, avec des côtes pleines et une chair plus ferme que les variétés inermes. Ce goût de l’épineux, qui a été diffusé dans une aire régionale plus large – probablement par le biais des ouvriers agricoles savoyards ou gessiens venus travailler à Genève), explique le maintien de cette production malgré les difficultés supplémentaires que posent les épines longues et multidirectionnelles, tant pour la culture que pour la préparation en conserve ou en cuisine.
Le gratin de cardon est, avec les rissoles aux poires, l’autre plat incontournable de la tradition de Noël. L’essentiel de la production est consommé à cette occasion et dans les deux à trois semaines qui précèdent et suivent cette fête.
Le goût du cardon a un air de famille avec son proche cousin l’artichaut: des notes de noix et de beurre s’accompagnent d’une légère amertume. La chair reste ferme et croquante, sans être filandreuse, ce qui distingue le cardon genevois de la plupart des cardons inermes produits en Espagne, en Italie et en France.
Le cardon est généralement consommé en gratin, l’eau de cuisson étant utilisée pour la base d’une sauce blanche, à laquelle on ajoute du fromage râpé et de la noix de muscade. La version traditionnelle de ce gratin comporte de la moelle de bœuf, mais cette recette est en recul suite à la crise de la vache folle.
Importance économique
Jusque dans les années 1960, la production genevoise atteignait 300 tonnes, dont les 2/3 étaient destinés aux conserveries. Outre la consommation locale et les conserveries, une demande conséquente en cardons frais émanait des grands hôtels de Zurich et de Bâle.
La dernière conserverie utilisant du cardon, la maison Gras de Carouge, a fermé en 1998; ceci a contribué à la fois à faire chuter la production genevoise, mais également à en préparer la relance. En effet, un des fournisseurs de la maison Gras, voyant sa production sur pied soudain dépourvue de débouché commercial, s’est lancé dans la fabrication de conserves en bocaux. „Les paysans restants créent l‘Association Cynara, qui s'engage pour la conservation et la protection de la variété locale. Fin 2015, Cynara compte 10 entreprises qui cultivent en moyenne 7 ha de cardons et récoltent 100 à 130 tonnes par an. » (Das kulinarische Erbe der Schweiz, Band 5).
... et enfin
„L’artichaut et le cardon contiennent de l'amidon appelé "inuline » – un glucide particulier–, et ceci en teneur relativement élevée, à savoir environ 12 % du poids frais. Ce qui en fait des légumes idéales pour les diabétiques. » (Haferwurzel und Feuerbohne, 2002).
Sources
- De Félice, Fortuné-Barthélemy, Encyclopédie d'Yverdon, ou Dictionnaire universel raisonné des connoissances humaines, Yverdon, 1770-1776.
- Union des femmes de Lausanne, Menus et recettes des classes ménagères, Lausanne, 1931.
- Bernerisches Kochbüchlein (Faksimile Nachdruck), Bern, 1970.
- L'Inventaire du patrimoine culinaire de la France: Rhône-Alpes, Albin Michel, Paris, 1995.
- Cuisinière genevoise, 1798.
- Catalogue de la 3ème Exposition nationale des variétés végétales et races animales domestiques menacées, 1998.
- Bresson, Aïté, L'artichaut et le cardon, Actes Sud, Arles, 1999.
- Revue suisse de viticulture, arboriculture, horticulture, vol. 34 (3), Musée national suisse, Château de Prangins, 2002.
- Foyer neuchâtelois, 1894.
- Maillard, Louis, Cuisinière romande, Slatkine, Genève, 1997 (1906).
- © Association Suisse des AOP-IGP, Photo Cardon épineux genevois.
- Imhof Paul, Das kulinarische Erbe der Schweiz, Miniaturen von Paul Imhof, Band 5 , Echtzeit Verlag, Basel , 2015.
- www.aop-igp.ch, Juin 2017.
- Bartha-Pichler Brigitte & Zuber Markus , Haferwurzel und Feuerbohne. Alte Gemüsesorten - neu entdeckt, AT Verlag, Aarau, 2002.
www.kulinarischeserbe.ch
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Epicentre de production
Le cardon épineux est une spécialité genevoise, dont la culture déborde largement la frontière vers les pays savoyard et gessien.