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Fève ou féverole

Ackerbohne, Saubohne, Pferdebohne, Feldbohne (ALL), fava (IT), favatscha (RO)

Fève ou féverole

En bref

Attestée depuis l'âge du Bronze, la fève (Vicia faba) a parcouru un chemin étonnant pendant plus de quatre mille ans. Elle est la légumineuse la plus répandue en Europe jusqu'à la fin du Moyen Âge, puis à partir des XVIe et XVIIe siècles, avec l'expansion de la pomme de terre et des haricots (Phaseolus vulgaris) en provenance du Nouveau Monde, elle connaît un déclin constant - jusqu'à sa disparition presque totale au XXe siècle ; elle sert alors au mieux de fourrage pour les animaux (d’où l’expression « fève à cochon », en allemand Saubohne). Au début du troisième millénaire, le haricot de l'Ancien Monde refait surface et suscite désormais l'intérêt croissant des adeptes du véganisme et des cuisiniers, qui souhaitent élargir leur gamme de produits et laisser libre cours à leur imagination. En outre, la renaissance en douceur de la fève relance le débat sur la pollution tolérable des sols, car elle fertilise elle-même en azote la terre dans laquelle elle a poussé. Autrefois produit de masse, puis produit de niche dans les années 2020, elle apparaît de plus en plus souvent : fraîche ou séchée dans des salades, les soupes, les ragoûts (de légumes) ou des pot-au-feu, ou sous forme de farine pour lier et affiner une baguette ou des desserts

Description

La fève (Vicia faba) est un membre de la famille des légumineuses (Fabacées) et appartient au genre des vesces (Vicia). Les graines (fèves) sont consommées vertes, fraîches ou sèches, ou cuites, de couleur brun clair à brun très foncé. Très tôt, les graines séchées étaient moulues pour en faire de la farine qui, mélangée à d'autres (farines de seigle, d’orge ou d’épeautre), servait à la fabrication du pain. Au XXIe siècle, la fève n'est plus un aliment de base, mais est très recherchée dans les cuisines végétariennes, créatives et privées. Dans le commerce, on trouve aussi bien des fèves entières que de la farine et de la semoule de fèves.

Variantes

Il existe trois variétés qui se distinguent par la taille des graines : la grosse fève (Vicia faba var. faba), la fève à cheval ou fève à cochon (Vicia faba var. equina ; plutôt pour le bétail) et la fève des champs ou féverole (Vicia faba var. minor). Ces divers noms sont utilisés à tort et à travers et mettent à mal la taxonomie officielle dans le langage courant et les dialectes. Les plus gros haricots servent plutôt à l'alimentation animale. Les trois variétés sont souvent désignées par une seule appellation.

Ingrédients

La fève contient environ 30 % de protéines et 2 % de matières grasses, 40 à 50 % de glucides, des fibres et de l'eau. Dans le passé, les personnes qui ne pouvaient s’offrir que rarement le luxe de manger de la viande, voire pas du tout, mangeaient des légumineuses comme la féverole.

Histoire

De quelque taille qu’elle soit, Vicia faba est la fève classique du Vieux Continent et serait originaire d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Sa forme sauvage n'a pas été identifiée. Les plus anciennes découvertes sur le territoire de la Suisse actuelle sont des graines carbonisées de la variété minor datant de l'âge du Bronze (à partir de 2200 av. J.-C.), mises au jour à Scuol Munt-Baselgia (Basse-Engadine) et à Lumbrein-Surin Crestaulta (Val Lumnezia, Surselva), dans les Grisons. Dans de nombreux sites préhistoriques situés sur les rives des lacs périalpins (lacs de Constance, de Zurich, de Bienne, de Morat et de Neuchâtel), on a identifié des fèves ainsi que des pois.

Jusqu'au Moyen Âge, la fève est devenue un aliment de base important. Seules quelques familles pouvaient s'offrir régulièrement de la viande. Les légumineuses comme les fèves, avec leur teneur élevée en protéines, sont un substitut idéal aux produits carnés.

Le Capitulare de Villis,  célèbre règlement domestique de Charlemagne sur les biens fonciers datant d'environ 800, dresse la liste des fabae majores. Martino de Rossi, dit Maestro Martino, originaire du Val Blenio, qui a fait passer la cuisine italienne du Moyen Âge à la Renaissance, a laissé quatre recettes de fave dans son recueil de recettes, le Libro di arte coquinaria (1464/65) et a écrit que les paysans d’autrefois (« dei tempi passati ») disaient : « Oggi fave, domani fame », fèves aujourd’hui, faim demain, car « la récolte des haricots est presque toujours très incertaine ».

C’est à Pietro Andrea Mattioli, médecin et botaniste italien, que l’on doit une description précoce (1563), illustrée de manière fidèle, faisant référence à la libération d'azote des fèves : « On en sème partout, pour la bonne raison qu'elles rendent les champs gras et fertiles. »

Dans un recensement de plantes cultivées datant de 1766 (anonyme, Société économique, Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne), on trouve également « 11° Fèves de champs » avec « plusieurs sortes : des blanches, des jaunes, des rondes, des longues, il y a deux sortes de fèves d'Espagne, des grosses, des petites que l'on nomme en allemand Rossbohnen ».

Albrecht Höpfner, pharmacien de la ville de Bienne, écrivait dans le Magazin für die Naturkunde Helvetiens, paru en 1788 : « Les fèves que nous connaissons peuvent être divisées en deux catégories : les plus grandes et les plus petites. Les plus grandes de nos fèves, appelées aussi fèves à cochon (Saubonen), portent ailleurs le nom de grosses fèves (Grossbonen) », tout comme « les petites, appelées ailleurs fèves à cochon, fèves à cheval (Pferdbonen) ou de jardin (Gartenbonen) ».

La fève doit la diversité de ses appellations à ses variétés et aux différents idiomes propres aux régions où elle a été cultivée. Alexander Moritzi (Die Flora der Schweiz, 1847) écrivait à propos de sa répartition dans notre pays : « Vicia Faba L. Fève commune des champs. Très souvent cultivée en Suisse pour être utilisée tantôt comme légume, tantôt comme fourrage pour le bétail ; moulue elle est également mélangée à la farine de pain. »

Lorsque, après la découverte de l'Amérique, la pomme de terre et le haricot à rames (Phaseolus vulgaris) ont été introduits en Europe, où ils furent mentionnés pour la première fois en 1543, l'ancienne Vicia faba eurasienne a commencé à décliner parallèlement à leur ascension. D'abord déplacée des champs vers les jardins, elle a ensuite été reléguée au bord d'autres plates-bandes. Ce sont surtout les pommes de terre qui ont fourni davantage de nourriture que les fèves. Elles restaient néanmoins importantes, surtout pour les personnes peu fortunées. Jeremias Gotthelf (1797-1854) a décrit le « Bohnenplätz » des paysannes, ajoutant que les femmes pauvres comme « la grand-mère Käthi » disposaient tout de même de « deux rangées de haricots ».

Les résultats d'un essai variétal (1963-1964) effectué par W. Huber, de la Station fédérale de recherches agronomiques de Zurich-Reckenholz, ont été décevants : « La fève (Vicia faba), autrefois la plus importante des légumineuses cultivées en tant que fourrage, est une culture ancienne. On ne dispose pas de données précises sur l'ampleur de la culture actuelle en Suisse. Selon Koblet (1965), en 1917, sur une surface totale de 128 ha, 72,5 ha revenaient au Valais [...]. »

Cela n'a rien d'étonnant, quatre décennies plus tôt, E. Mühlethaler constatait déjà : « Chez nous, la grosse fève est encore plantée à peu près en bordure des champs de pommes de terre ; elle est rarement cultivée sur de grandes surfaces » (Der rationelle Gemüsebau, Berne, 1921).

« Cette coutume de planter la fève en simple rangée le long des plates-bandes et des champs, pour ainsi dire en guise de bordure, est remarquablement répandue. Je l'ai vue autour de Wengen, Engelberg, Zermatt, où elle entoure de petits champs de blé et de pommes de terre. Friedli (Bärndütsch II, 1908) rapporte que l’on procède également ainsi à Grindelwald » (Hermann Christ, Zur Geschichte des alten Bauerngartens in der Schweiz und angrenzender Gegenden, Bâle 1923).

Dans les zones alpines, où elle n'était pas si facile à remplacer du fait de sa grande résistance au froid, la fève s'est maintenue plus longtemps que sur le Plateau. Mais là aussi, elle a été concurrencée. Pourtant, « en Valais, la culture de la fève s'est maintenue jusqu’à ce jour en quelques rares endroits jusqu'à nos jours », écrit le biologiste Peer Schilperoord. « Sa culture a déjà été abandonnée dans les autres régions. La plupart des rares variétés conservées proviennent du Valais. Une variété par canton est issue de Berne, Glaris, des Grisons et de Lucerne » (Plantes cultivées en Suisse - La fève commune des champs, 2016).

En 2015, ProSpecieRara a lancé un projet visant à « cultiver à nouveau la fève [...] dans les régions de montagne pour l'alimentation humaine ». Au début des années 2020, quelques essais ont donné des résultats très encourageants. L'objectif de ProSpecieRara de faire revivre l'un ou l'autre champ dans les régions alpines suscite de l’intérêt, particulièrement auprès d’un public urbain friand de cuisine végane, avec pour conséquence la nécessité d'élargir la palette des produits. Cette légumineuse, qui était autrefois « si courante qu'il est devenu l'incarnation de ce qui n'a aucune valeur » (Pflanzen im Mittelalter, 2012) et qui était surtout utilisée dans les ragoûts et les potées, s'est hissé sans crier gare au bel étage de la haute cuisine. Et comme il se doit pour les produits nobles : en quantités homéopathiques.

Production

Les anciennes variétés de fèves de pays résistent à des températures de -5 à -8oC. On les plante assez tôt, à partir de février, en fonction de l'altitude, de la nature des sols ou de leur aération, elle se développe mieux ainsi. Elles apprécient une forte humidité de l'air et suffisamment de pluie, supportent mal la sécheresse et sont susceptibles d’être attaquées par des pucerons. La fève peut être récoltée verte, lorsqu'elle est croquante et pas encore farineuse, ou mûre et sèche en août/septembre, « quand [les fèves] sont si dures que l'ongle ne laisse plus d'empreinte sur les cosses » (Lexikon der alten Gemüsesorten, 2014). La récolte avec la moissonneuse-batteuse est délicate, car il faut veiller à ne pas écraser les graines. Les fèves sont transformées en farine et en semoule dans des moulins.

Pour la cuisine, on cultive d'anciennes variétés du Valais, comme la fève d’Albinen, les grosses fèves d’Ausserberg, d’Erschmatt, du Lötschental ou de Leiggern (mayen à 1600 mètres d'altitude), celles de Liddes, de Reckingen (a survécu à quatre gelées dans la vallée de l'Albula (Grisons)), la grosse fève de Törbel, ou encore la fève de Romoos (dans l’Entlebuch), celle d’Elm (Glaris) et enfin une variété de Habkern (près d’Interlaken), qu’une famille a cultivée pendant plus d’un siècle (prospecierara.ch) - ainsi que de nouvelles sélections et des variétés modernes pour l'alimentation animale (swissgranum.ch).

Consommation

Les fèves vertes sont faciles à travailler, celles qui sont séchées doivent être trempées afin d’enlever leur peau coriace. Dans la cuisine ancienne, les fèves étaient utilisés pour les soupes et les ragoûts, dans des mélanges de farine pour les pains et les pâtisseries comme le gâtelet du Pays-d'Enhaut (voir entrée du PCS) ou la baguette. On peut citer la potée (Choschtsuppe) et la soupe aux fèves (Beenälisuppä) de la Suppenanstalt Altdorf, la pasta e fasöö du Tessin, sans oublier les fèves au lard ou la célèbre salade de cuisses de grenouilles aux fèves fraîches de Frédy Girardet (1982). Li fâvèrouetaïtè (patois de Liddes, en Valais) sont des fèves grillées que les écoliers se partageaient : « c'étaient les cacahuètes de notre temps ».

Dans la nouvelle cuisine créative, on emploie des fèves pour des spécialités du monde entier, surtout dans les cuisines végétarienne et végétalienne, comme le tofu aux fèves, les crackers, la farinata (à l’origine, galette de pois chiches italienne), le houmous, les mets fermentés, etc.

Importance économique

Très faible et marginale par rapport à l'importance que la fève avait à partir du XXe siècle; grâce à la gastronomie et à l'évolution des habitudes alimentaires, en particulier dans les zones urbaines, elle connaît une croissance modérée mais constante et est présentée comme une redécouverte.

... et enfin

Dès le XVIe siècle, le jour de l'Épiphanie, on cachait des fèves dans des galettes et celui ou celle qui les croquait était élu roi ou reine des fèves.

Dans les proverbes, la fève joue un rôle plutôt pitoyable : « Comme une fève n'a pratiquement aucune valeur (les fèves sont souvent utilisées comme fausse monnaie pour les jeux), elle désigne depuis le XIIIe siècle déjà l'insignifiant, le futile » (Das grosse Lexikon der sprichwörtlichen Redensarten). Par exemple, des phrases comme « nicht die Bohne » ou « keine Bohne wert » (ça ne vaut pas même une fève, c’est donc quasi insignifiant) ou « Erbsen Bohnen sein lassen » (littéralement : laisser les pois être des fèves, c’est-à-dire laisser faire, fermer un œil), etc.

À Berne, vers les années 1520, lors du carnaval, ce fut avec une chanson satirique sur les haricots, composée par Niklaus Manuel, que l’on chassa le papisme et lança le début de la Réforme.

« Si l'on torréfie des fèves noires dans un récipient fermé, les pulvérise et les dissout dans l'eau avec de la gomme arabique, cela donne une très bonne encre » (Gottlieb Tobias Wilhelm, Unterhaltungen aus der Naturgeschichte, Augsbourg 1811).

« Le plaisir que Gotthelf prend aux allitérations et aux assonances l'amène à comparer à plusieurs reprises les Kabinettsköpfen (hommes à la tête de cabinets) aux Kabisköpfen (têtes de chou), et l'une des rares rimes qu’il a composées est celle-ci : Dem Mann gehört ein Helm aufs Haupt, und eine schöne Krone. Zu jenem dient das Kabiskraut, zu dieser die Saubohne. »  (À ce monsieur il faut un casque sur la tête, ainsi qu’une belle couronne. Pour celui-là un chou fera l’affaire, et pour celle-ci une fève à cochon.) (extrait de : Hans Riedhauser, Essen und Trinken bei Jeremias Gotthelf)

Sources

  • Riedhauser, Hans,   Essen und Trinken bei Jeremias Gotthelf,   Verlag Paul Haupt,   Bern/Stuttgart,   1985.  
  • Favre, Joseph,   Dictionnaire universel de cuisine pratique,   Omnibus,   2006.  
  • Peer Schilperoord & Andrea Heistinger,   Kulturpflanzen der Schweiz, Süd- und Nordtirol – Literaturstudie ,   Alvaneu,   2011.  
  • Peer Schilperoord,   Kulturpflanzen der Schweiz – Ackerbohne ,   Verein für alpine Kulturpflanzen,   Alvaneu,   2016.  
  • Isabelle Raboud et.al.,   Assiettes valaisannes – Nourritures d’hier et d’avant-hier,   Monographic,   Sierre,   1993.  
  • Brigitte Epprecht,   Die Ackerbohne (Vicia faba) in der Schweiz – Literaturrecherche,   Pro Specie Rara,   Basel,   2011.  
  • Aldo Bertoluzza,   Libro di Cucina del maestro Martino de Rossi,   Edizioni U.C.T.,   Trento,   1993.  
  • Nicole Egloff,   Foto: Grossbohne vom Lötschental - Ackerbohne, Puffbohne,   © Pro Specie Rara.  
  • Webseite: Pro Specie Rara,   2022.  
  • Site WEB: Swiss Granum,   2022.  
  • Webseite: Berggetreide /alpine Kulturpflanzen / Geschichte ,   2022.  
  • Webseite Biohof Las Sorts,   2022.  
  • Site WEB: Centre national de données et d'informations sur la flore de Suisse,   2022.  
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Epicentre de production

Berne, Grisons et dans d'autres cantons suisses 

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